mercredi 6 juin 2007

La CJCE fait fléchir la Suède en matière de vente d’alcool sur internet

L’alcool n’est pas un produit comme les autres... c’est en tout cas la position – peu originale – qu’observe la Suède. Dans cette optique, l’Etat suédois a confié à la société Systembolaget un monopole sur la vente des vins et spiritueux sur son territoire pour assurer un meilleur respect de sa législation très contraignante. A titre d’exemple, l’âge minimum pour consommer de l’alcool est de 20 ans et surtout, la publicité en la matière est extrêmement réglementée avec une interdiction de favoriser une marque au détriment d’une autre ou encore de faire des promotions. Un tel système, à rapprocher – avec précautions toutefois – de celui que peut connaître la France en matière de tabac ou de jeux d’argent, fonctionnerait parfaitement grâce à un relatif consensus national si l’Union européenne et l’internet n’avait jamais été créés...
L’affaire a débuté il y a 5 ans lorsque certains particuliers ont importé du vin en provenance d’une société espagnole opérant sur internet. A la frontière ouest de la Suède, ces marchandises furent saisies et les destinataires de ces paquets alcoolisés furent accusés d’importation illégale de boissons alcoolisées. Suite à ces inculpations, le processus judiciaire suivit son cours jusqu’à la Cour suprême suédoise. Très embarrassée face à la question de la conformité de sa législation nationale au Traité CE, la cour suédoise s’en remit à la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) via une question préjudicielle.
Dans sa décision C-170/04 « Klas Rosengren e.a. c/ Riksaklagaren » rendue hier, la CJCE a considéré que l’interdiction aux particuliers d’importer des boissons alcoolisées constitue une restriction quantitative à la libre circulation des marchandises. Rappelons que l’article 28 du Traité de Rome du 25 mars 1957 (ou Traité CE) stipule que « Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres ». Pour justifier qu’il y avait restriction quantitative en l’espèce, les juges du Luxembourg ont souligné les divers inconvénients de Systembolaget pour les consommateurs et notamment la marge de 17% que cette société leurs fait supporter. Dans un second temps, la CJCE a examiné si cette restriction pouvait être justifiée pour des raisons « de protection de la santé et de la vie des personnes » ainsi que l’énonce l’article 30 du Traité CE. Au regard des éléments qui lui ont été soumis et notamment en raison de l’absence de précision dans les motifs de refus d’importation, les juges luxembourgeois ont estimé que « l’interdiction d’importation vise moins à limiter d’une manière générale la consommation d’alcool que de privilégier Systembolaget comme canal de distribution de boissons alcoolisées » avant de souligner le manque de pertinence de l’objectif de protection de la jeunesse en raison de l’application à tous les suédois de ces restrictions.
C’est donc un sévère coup de plomb dans l’aile que les juges européens ont administré à la législation suédoise. Face à cette déconvenue, Anders Borg, Ministre suédois des finances a déclaré : « Nous allons continuer notre politique de restriction de l’alcool [...] Je pense que nous allons pouvoir continuer à sécuriser nos revenus fiscaux en ce domaine ». Ainsi, un bras de fer semble être en cours entre l’Union européenne et la nation scandinave. Toutefois, la Suède risque très vite de se rendre à l’évidence et de succomber, à l’instar des autres Etats membres, aux pressions européennes. Décidemment, lorsque l’on combine le réseau internet et la législation européenne, il semble impossible pour les Etats de garder un contrôle minimum sur certains secteurs jugés dangereux. A l’heure actuelle, nombre de gouvernements nationaux tentent de sauvegarder leur spécificité culturelle à l’instar de la France qui essaye tant bien que mal de justifier le monopole de la Française Des Jeux face à des instances européennes très suspicieuses au regard des intentions des représentants de l’hexagone. Les rédacteurs du Traité de Rome rêvaient d’une liberté maximum de circulation des marchandises au sein de l’Europe... c’est peut-être l’internet qui permettra de réaliser ce qui était encore, il y a peu, une utopie !

CJCE, 5 juin 2007, C-170/04 « Klas Rosengren e.a. c/ Riksaklagaren » (format pdf)

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