vendredi 13 avril 2007

La dernière loi fantaisiste de l’Utah sur les liens commerciaux

Si l’Utah est la patrie des mormons, c’est aussi l’Etat spécialiste des lois originales – pour ne pas dire fantaisistes – dédiées aux problématiques de l’internet telles que la pornographie ou les spywares. Cette caractéristique lui attire régulièrement les foudres des associations de défense des libertés des internautes et aussi des juristes, avec le professeur de droit Eric Goldman de l’Université californienne de Santa Clara comme plus fervent détracteur.
Dernier en date, le « Trademark Protection Act » du 19 mars 2007, approuvé par le gouverneur de l’Utah Jon Huntsman, Jr., a fait l’effet d’une véritable bombe tant chez les juristes américains que parmi les moteurs de recherche et autres plates-formes publicitaires spécialistes de la publicité ciblée. Le point central de cette loi est la création d’une sorte de nouveau droit de propriété intellectuelle désigné sous le terme de « marque électronique » (electronic registration mark). Cette nouvelle prérogative permet à toute entreprise de déposer « un mot, un terme ou un nom » en tant que marque électronique afin d’empêcher toute autre société à l’utiliser en tant que mot-clé à des fins publicitaires. Au-delà du fait que cette loi autorise le dépôt de presque tous les mots – même génériques tels que voiture ou livre -, elle condamne surtout le système des mots-clés et a fortiori des liens commerciaux ou encore le fonctionnement des sites de commerce électronique utilisant un référencement par mots-clés de leurs produits (du type Amazon). En outre, fiers de leur trouvaille, les représentants de l’Utah ont étendu le champ d’application de cette loi à toute publicité pouvant être visionnée dans cet Etat... autant dire toutes les publicités présentes sur internet. L’on n’avait pas vu une innocence et une naïveté aussi pures en droit international privé de l’internet depuis l’an 2000 ! Mais comment cet Etat a-t-il pu voter une loi aussi dramatiquement farfelue ?...
Ce n’est pas faute d’avoir été mis en garde par un certain nombre de conseillers juridiques. Plusieurs spécialistes ont souligné les risques d’inconstitutionnalité au législateur de l’Utah. En effet, la Constitution américaine réserve la régulation des échanges entre les Etats au gouvernement fédéral. D’ailleurs, Google souhaite soulever l’inconstitutionnalité de cette loi devant les tribunaux même si ses dirigeants ont signalé qu’ils négocieraient avec le gouverneur de l’Utah avant toute bataille judiciaire. De son côté, Corynne McSherry, avocate travaillant pour le compte de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), a souligné la défectuosité de cette loi avant d’ajouter que « Cette loi n’est pas seulement préjudiciable à Google. Elle l’est aussi pour les consommateurs qui bénéficient d’outils de comparaison efficaces avec ces publicités ».
Ainsi, l’espérance de vie de cette loi semble bien compromise face au consensus suscité par les critiques virulentes et cette solution miracle face aux problèmes des liens commerciaux a toutes les chances de tomber aux oubliettes. Rappelons que les liens commerciaux font aussi l’objet de débats juridiques en France où la jurisprudence adopte des solutions différentes voire contradictoires. Pour certaines juridictions, la reproduction de marques déposées via des mots-clés s’analyse en de la contrefaçon (V. notamment, CA Paris, 28 juin 2006, Vuitton Malletier c/ Google) alors que pour d’autres en une faute engageant la responsabilité civile du fournisseur de liens (V. notamment, TGI Paris, ord., 11 octobre 2006, Citadines c/ Google). Quant aux solutions proposées, citons parmi d’autres la mise en place de liens hypertextes permettant aux annonceurs de consulter les registres français de marques (TGI Paris, 12 juillet 2006, Gifam c/ Google)... ce que Google a d’ailleurs mis en place promptement. Du côté des solutions doctrinales, signalons la proposition de Luc Grynbaum, professeur de droit à l’Université Paris V, de créer un code de bonne conduite applicable aux liens commerciaux (RLDI 2007/23, p.61). Mais si les liens commerciaux suscitent aussi des solutions spécifiques en France, celles-ci sont toutefois très raisonnable comparées au « Trademark Protection Act » de l’Utah !... Tout le monde n’a pas la capacité de faire de l’humour juridique...

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